L’enseignement du Tibétain insiste sur la nécessité, pour ceux qui sont engagés dans un cheminement spirituel, de considérer leur démarche personnelle sous l’angle collectif. La nature même du domaine spirituel, qu’ils cherchent à contacter, est collective. C’est pourquoi le Tibétain enjoint ceux qui s’orientent vers leurs âmes à se décentraliser ; c’est-à-dire à ne voir dans leur propre personne, ni l’auteur, ni le destinataire principal des expériences spirituelles auxquelles ils sont exposés.
Seule cette attitude de décentralisation, lorsqu’elle est acquise, permet à l’individu de percevoir dans une juste perspective la vie spirituelle dont il fait l’expérience.
1. Conscience individuelle
Selon le Tibétain, l’âme qui donne sa Conscience à l’Homme, transcende le sens de l’individualité séparée qui accompagne le développement psychique de chaque être humain.
Pourtant, la conscience humaine se déploie à partir du sens de sa propre singularité.
C’est, en effet, une conquête pour l’homme de se découvrir en tant qu’individu distinct, possédant des caractéristiques qui le définissent, lui et lui seul. Ce sont ces caractéristiques, qualifiant ses goûts, ses inclinations et ses aptitudes qui le personnalisent. A ce stade de développement de la conscience, il est juste de dire que la multiplicité des caractéristiques psychiques d'un homme, en s'assemblant, forme l’individualité de cet homme. Ainsi le sens de l’individualité, qui caractérise tout être humain, résulte paradoxalement, de la multiplicité des éléments qui le constituent et dont il aura su faire une unité.
Ce sens de la conscience individuelle de l’Homme peut donc être ainsi défini : c’est l’imposition d’une Unité, à une diversité de caractéristiques. Plus seront nombreuses et diversifiées les caractéristiques réunies dans un individu, plus sa personnalité sera riche et influente.
Si nous schématisons ce processus qui rassemble le multiple dans l’Un, nous voyons apparaître la notion de groupe. Un groupe n’est en effet, que la réunion, l’assemblage d’une multiplicité d’éléments, sous l’égide d’une même règle ou d'un même principe.
La conscience individuelle est donc constituée d’un groupe de caractéristiques diversifiées. Un groupe est riche de sa pluralité et fort de son unicité.
2. Universalité de la conscience
La conscience n’existe pas que chez l’homme, elle naît bien avant, dans les règnes, animal, végétal et minéral, même si l’homme ne peut l’observer à ces stades de développement, pour lui embryonnaires. Mais quel que soit le degré de la conscience, une même règle gouverne son édification : la conscience se manifeste par la cohérence qu'elle peut instaurer au sein d'un ensemble d'éléments diversifiés.
Cette cohérence n'est que l'effet de l'Unité qui s'impose comme règle de fonctionnement à la diversité. Plus la diversité rassemblée est importante, plus l'on dit que la conscience est étendue. Et plus l'unité s'impose avec force à cet ensemble et plus la conscience est claire.
3. Les niveaux de conscience sur différents plans
Conscience mentale
La conscience mentale d’un homme est constituée de pensées. Lorsque ces pensées deviennent cohérentes, qu’un point commun ou une règle peut les structurer en un ensemble ordonné, apparaît la compréhension. La compréhension est donc l’acte par lequel une unité est trouvée au sein d’un ensemble de pensées.
Conscience émotionnelle
Le monde émotionnel qui accompagne l'intériorité des êtres humains et des animaux est constitué d'impressions fugaces et incertaines ou tenaces et bien affirmées qui se succèdent tout au long de leurs vies. La diversité et le nombre de ces impressions peut toutefois s'assembler autour d'un centre qui se nourrit de leur continuelle alternance. Ce centre est le caractère de l'individu ; lieu où chaque impression passagère se dépose ; comme des touches de couleur s’ajoutent sur la toile d’un tableau, et s’harmonisent à sa teinte dominante.
Conscience physique
La vaste étendue des sensations qui provient de l'utilisation des sens (vue, toucher, ouïe, etc.) que possèdent humains, animaux et dans une très faible mesure les végétaux, se rassemblent et créent une impression synthétique que l'on désigne du terme d'état de veille.
Cet état ne provient pas comme on le croit souvent de la conscience mentale, même si l'état de veille et le mental interagissent intimement dans un être humain, au point qu'il est difficile de les distinguer l'un de l'autre.
Mais l'état de rêve nous prouve que veille et conscience mentale sont bien deux réalités distinctes. Le rêve est un état où les consciences mentale et émotionnelle sont bien actives mais la veille y est absente parce que les sens sont endormis.
La veille, si nous la considérons séparément des consciences mentale et émotionnelle est le stade de conscience le plus bas, parce qu'elle est celle qui nous fournit le moins d'informations sur la réalité, mais elle est en revanche la plus intense, car elle est la plus ancrée dans l'instant présent. Toutefois, à l'instar des consciences plus élevées avec lesquelles elle s'associe, la veille répond au principe de l'unification qui informe et rend cohérent une diversité d'éléments (les sensations physiques).
Ces trois consciences différentes qui cohabitent dans un être humain répondent toutes au même principe qui rassemble une diversité de constituants sous l'égide d'une force unique. Dans le mental l'unité produit la compréhension qui synthétise une diversité de pensées ; au sein de la vie émotionnelle, c'est le caractère en lequel fusionnent une multiplicité d'impressions ; tandis que dans le corps physique, c'est la veille en laquelle s'unifient une multitude de sensations provenant des sens.
Ce constat permet de comprendre que la conscience n'existe qu'avec la notion de groupe. Le groupe étant, ainsi que cela a été dit plus haut, la réunion d’une multiplicité d’éléments, sous l’égide d’une même règle ou d'un même principe.
L'enseignement du tibétain décrit trois types de consciences graduées qui accompagnent la conscience du stade animal jusqu'au stade où l'être humain est prêt à sortir du règne humain et continuer son évolution au sein du cinquième règne de la nature (la Hiérarchie). Ces trois consciences sont, dans l'ordre de leur développement successif, la conscience de masse, la conscience individuelle et la conscience de groupe.
Mais compte tenu de la description que nous avons faite, au chapitre précédent, du principe systématique par lequel il est possible d'être conscient, ces trois types de conscience se révèlent n'être que des points de vue portés sur une unique réalité.
En guise d’analogie, une plage de sable fin, peut ainsi être vue, tour à tour, comme une multitude de minuscules grains de silice collés les uns aux autres, mais aussi, cela peut être perçu comme une substance semi-solide et déformable, ou c'est encore simplement un lieu où le ressac de la mer, avec une infinie patience, a su éroder le sol dur du continent.
Ces trois consciences ne sont finalement qu'une unique conscience aperçue de différents points de vue :
La conscience de masse correspond au stade où la multiplicité des éléments rassemblés est privilégiée, sans que ne soit considérée l'ensemble qu'ils forment.
La conscience individuelle est au contraire, un accent placé sur la partie qui constitue l'ensemble. Tandis que la conscience de groupe est la règle suivie par la multitude pour se rassembler, ainsi que le résultat de ce rassemblement : le groupe.
Un exemple rendra peut-être ce point de vue plus clair :
Lorsque nous considérons l'instinct de reproduction tel qu'il s'exprime dans la sphère humaine, il apparaît clairement que cet instinct est une nécessité née de l'obligation de perpétuer la race, qui sans lui s'éteindrait. Cet instinct provient de la masse (multitude) des êtres humains à laquelle un individu quelconque appartient. Cet instinct n’a aucun égard pour l'unité individuelle qu'il s'approprie pour atteindre son objectif ; seul l’intérêt de l’ensemble est pris en compte. Il est donc une force de masse. Pourtant l'unité individuelle, l'individu sujet à cet instinct qui s'empare de lui, omet l'origine collective de cette force impérieuse et pense sincèrement que c'est par une inclination personnelle, un goût qui lui appartient en propre, qu'il est attiré par un autre individu de son espèce.Il croit qu’il choisit et sélectionne un partenaire mais il oublie qu’il n’a pas décidé lui-même d’éprouver l’attraction : il reste victime d’une pulsion. Son sentiment de décision n’est donc qu'une illusion, mais c'est pourtant le point de vue de la conscience individuelle.
Puis, lorsque la conscience de groupe est enfin atteinte, la loi qui oblige la race humaine à se perpétuer est aperçue dans toute sa beauté : le principe qui oblige ainsi tout être humain à subir l'attirance d'un autre en vue de se reproduire est finalement un principe dérivé d'une loi d'amour universelle. Cette loi unit chaque individu à tous les autres, avec égards et compréhensions, pour la prospérité de tous. Perçu sous l’angle du groupe, cet instinct est devenu un grand principe de Fraternité !
Ainsi une même réalité manifestée sera vécue et comprise différemment selon le point d'identification auquel la conscience est sensible : la multitude indistincte, l'unité individuelle au sein de cette multitude, ou le tout structuré et cohérent qui en résulte. Ce sont ces trois facteurs qui contribuent pourtant à l’élaboration d’une unique réalité : la Conscience. C’est pourquoi, il y aura toujours nécessairement dans toute réalité manifestée, la présence de ces trois degrés de conscience tout comme on peut reconnaître aisément dans chaque objet qu’il est constitué d’un matériau, qu’il possède une forme et qu’il a une raison d’être. Ces trois conditions distinctes de l'existence de l'objet contribuent à en faire une seule réalité synthétique.
La Conscience est le lien qui rapproche l’Un et le Multiple. En ce sens elle est, ainsi que le dit la Tradition immémoriale, le lieu où se rencontrent l’Esprit (unité) et la Matière (multiplicité).
Elle s’éveille à sa propre réalité en trois stades successifs que sont les consciences, de masse (multiple), conscience individuelle (partie différenciée au sein du multiple) et conscience de groupe (ensemble constitué par ce multiple).
Pour l’homme, la conscience de groupe l’amène à sortir du règne humain et pénétrer dans le cinquième règne de la nature. Mais, à des degrés divers ces trois consciences cohabitent dans un même individu. Lorsque l’on désigne un individu par son appartenance à l’une de ces trois catégories de conscience, c’est simplement que celle-ci domine son expression et son activité, pourtant les deux autres consciences coexistent nécessairement au sein de certains de ses processus psychologiques.
Un être humain par exemple, est soumis à l'instinct de conservation, sous la forme d'une crainte instinctive de la mort. C'est la conscience de masse agissante en lui. Mais dans le même temps, cet homme éprouve des sentiments en lesquels il reconnaît les valeurs qui le définissent et font de lui un être singulier. C'est là que se situe sa conscience individuelle.
En outre, ce même homme, dans sa sphère de vie mentale, est réceptif à des idées. Ces idées gouvernent la société et la culture dans laquelle, avec une multitude d'êtres humains, il croît vers une réalisation commune. C'est un aspect de la conscience de groupe qui s'épanouit dans sa psyché.
Dans les autres règnes de la nature, ces trois stades de conscience sont également la règle.
Contrairement à l’idée couramment admise, ce qui caractérise l’homme n’est pas la conscience individuelle (conscience d’être distinct) mais la soi-conscience (conscience d’être conscient) ; ce sont deux réalités différentes qui sont souvent confondues.
C’est pourquoi on peut, ainsi que pour l’homme, parler d’une conscience individuelle chez les animaux, comme l’expriment les chiens, les chats, les chevaux ou les rats, même s’ils ne sont pas soi-conscients.
Les éléphants et les dauphins, dans leurs milieux naturels, atteignent le stade de la conscience de groupe, alors que les souris ou les lapins se développent encore par la conscience de masse.
Dans le règne végétal, les arbres ont généralement atteint la conscience de groupe, les plantes à fleurs sont souvent au stade du développement de la conscience individuelle, tandis que les mousses sont des représentantes de la conscience de masse de ce règne. Mais ce qui précède n’est pas une règle systématique, la nature comporte des subtilités qui échappent aux classifications du mental.
Dans le règne minéral, la conscience est si éloignée de celle de l’homme, qu’elle lui semble être inexistante. Mais tous les minéraux ont une conscience du temps qui s'écoule. En outre, leur évolution passe par la reconnaissance progressive de l’espace dans lequel, ils existent. Ainsi les roches opaques expriment le premier stade de conscience minérale ; la conscience de masse de ce règne.
Puis les gemmes, les pierres semi-précieuses et tous les minéraux qui ont acquis une mesure de translucidité à la lumière révèlent leur sensibilité à l’espace dont ils perçoivent la transparence. C’est le stade de la conscience individuelle dans ce règne.
Les minéraux dits radio-actifs, enfin, expriment une pleine conscience de l’espace présent autour d’eux, qu’ils tentent d’emplir de leurs radiations. C’est l’expression de la conscience de groupe des minéraux.